Événement

Cérémonie du retour d'Ataï

En Juillet 2013, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie, s’est engagé, au nom de l’État à rendre à la Nouvelle-Calédonie, le crâne du Grand Chef Ataï. C'est chose faite depuis hier. La remise officielle des reliques d’Ataï par la ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin aux clans de l’aire coutumière concernée et une cérémonie de recueillement ont précédé ce retour dans l’archipel. Le crâne du Grand Chef Ataï et de son compagnon "Le sorcier", arriveront en Nouvelle-Calédonie, le 2 septembre 2014. Ils seront déposés à la tribu de Petit Couli à Sarraméa pendant un an, puis de nouvelles cérémonies se dérouleront lors de la levée de deuil.

VIE ET MORT D’ATAÏ : CONTEXTE HISTORIQUE

Deux ans après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, en 1853, un arrêté du 20 janvier 1855 institue la propriété de l’État français sur toutes les terres de l’île principale, engendrant ainsi les révoltes Kanak dont les premières surviennent entre 1856 et 1857.

En 1864, la possibilité est donnée aux bagnards "rendus dignes d’indulgence" d’obtenir une concession de terrain. Ainsi, 110 000 hectares des meilleures terres du pays sont attribués au détriment des tribus.

Le 22 janvier 1868, un arrêté contraint les populations autochtones à se regrouper dans des territoires délimités à cet effet, les «réserves».

QUI ÉTAIT ATAÏ ?

Le Grand Chef Ataï fut de ceux qui s’opposèrent aux spoliations foncières et à la divagation du bétail des colons. Il est décrit comme un homme intelligent, courageux, batailleur, un esprit lucide doté d’une personnalité exceptionnelle. Ce Grand Chef, doué d'un esprit observateur était accablé par le manque de respect de l’administration coloniale à l’égard des coutumes traditionnelles Kanak. Le Grand Chef Ataï figure parmi les personnages historiques Kanak les plus populaires aujourd’hui. Il devait avoir 45 ans lorsqu’il a été tué et serait né aux alentours de 1833.

Un sac de terre contre un sac de pierres
Le Grand Chef Ataï, avait le sens de la répartie et de la défiance. Un jour, convoqué par le gouverneur Jean Olry, il vida deux petits sacs devant lui, disant en montrant le tas de terre du premier sac : "Voici ce que l’on avait" puis montrant le tas de pierres du second sac : "Voici ce que tu nous laisses !".

LA RÉVOLTE DE 1878

Dans la région de La Foa où éclata la révolte, étaient implantés un centre de colonisation et un important centre pénitentiaire. En 1877, la Nouvelle-Calédonie est en proie à une sécheresse terrible. Le bétail est affamé et assoiffé.

Pour essayer de venir en aide aux éleveurs et sauver une partie du cheptel, le Gouverneur accorde temporairement un droit de pacage sur les réserves pénitentiaires habituellement cultivées par les tribus alentours. La divagation du bétail détruit les champs d’ignames et les tarodières des tribus. L’exaspération est croissante ; la révolte se prépare, puis éclate et s’étend sur la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie de Boulouparis à Poya.

Le Grand Chef Ataï est tué au cours de cette révolte, ainsi que son fils et son sorcier, et leurs têtes sont tranchées par les auxiliaires Kanak.

Les conséquences de la révolte et de sa répression sont durables. Les équilibres fonciers sont perturbés dans toute la Nouvelle-Calédonie par l’accueil des Kanak exilés qui ne seront pas toujours adoptés mais tolérés. Cette révolte de 1878, compromet encore la réputation déjà médiocre de la Nouvelle-Calédonie en métropole et freine la colonisation libre.

QU’EST-IL ADVENU DE LA TÊTE DU GRAND CHEF ATAÏ ?

Après la décapitation du Grand Chef Ataï, la tête, recueillie par le Dr Navarre, médecin de marine, a été expédiée, dans un bocal d’alcool phéniqué comme don au professeur Paul Broca, président-fondateur de la Société d’Anthropologie de Paris (ci-après nommée SAP). Celui-ci l’a présentée, en même temps que la tête du sorcier d’Ataï tué à ses côtés, à la Société, qui annonce "l’envoi de deux têtes de Canaques. L’un de ces sauvages était Ataï, le chef de l’insurrection néo-calédonienne ; l’autre était un sorcier." (395e séance du 9 octobre 1879, Bulletins de la Société d’Anthropologie de Paris, 1879 : 581).

Le 23 octobre, P. Broca présente les deux têtes de la façon suivante (396e séance du 23 octobre 1879, Bulletins de la Société d’Anthropologie de Paris, 1879 : 616) : "Après le combat, leurs têtes furent coupées, ainsi que la main d’Ataï, et apportées comme des trophées au camp français par les auxiliaires indigènes. Ce fut ainsi qu’elles furent mises à la disposition de M. Navarre". Et le Professeur Broca poursuit lors de cette séance : « La magnifique tête du Chef Ataï attire surtout l’attention. Elle est très expressive ; le front surtout est très beau, très haut et très large ».

Le moulage des têtes
La tête a ensuite été moulée par Félix Flandinette, puis décharnée, et le crâne est entré dans les collections de la SAP, conservé à la chapelle des Cordeliers de la Faculté de Médecine de Paris. À la demande du doyen de la Faculté, qui convoitait les locaux, le Professeur Henri-Victor Vallois, à la fois titulaire de la chaire d’anthropologie du Muséum et secrétaire général de la SAP, a obtenu que ces collections soient transférées au Musée de l’Homme1 en 1951. Les crânes du Grand Chef Ataï et du sorcier n’ont jamais été exposés au public.

ERREURS ET RUMEURS : QUELS SONT LES FAITS ?

Étaient-ce bien les crânes d'Ataï et du sorcier ?

L’authentification des deux crânes a été faite sur des caractères médico-légaux et anthropologiques.

Pour le sorcier, il s’agit d’un crâne convenablement étiqueté à la SAP (comme le prouvent les initiales S.A. inscrites sur le crâne avec la mention "sorcier néo-calédonien, Dr Navarre, 1879"), dont la morphologie est très déformée et pathologique, ce qui cadre bien avec ce que l’on sait de la morphologie du takata (takata vient de dokta, docteur, médecin traditionnel). Il porte la trace d’un coup mortel porté à l’arrière du crâne par un objet contondant qui a fracturé l’os en étoile, et une amputation du bas de la mandibule à droite, par une arme tranchante.

Concernant Ataï, et pour faire taire des rumeurs faisant état de sa disparition, les éléments suivants sont à rappeler :
- Présence initiale dans la collection de la SAP conformément à l’histoire
- Inscription nominale sur le crâne
- Compatibilité de sexe (masculin) et d’âge (la quarantaine) avec Ataï
- Confrontation (par méthodes de scanner 3D) montrant un ajustement parfait entre crâne et moulage du visage
- Blessure par casse-tête à l’arrière du crâne
- Présence avec le crâne, de quatre des cinq premières vertèbres cervicales (puisqu’au départ la tête est arrivée avec le cou) dont la dernière porte la trace de la décapitation.

Dans les deux cas, les observations concordent avec les archives racontant l’insurrection de 1878.

La thèse érronée de la disparition du crâne

Des rumeurs sur la disparition de la tête du Grand Chef Ataï ont circulé.

Le livre du romancier Didier Daeninckx paru en 2002, Le retour d’Ataï, oeuvre de fiction, avait accrédité cette thèse. De plus, une rumeur avançait la possibilité que la tête d’Ataï ait disparu au Musée de Caen lors d’un bombardement en 1944. Récemment, un article rédigé en juillet 2011 "La tête d’Ataï retrouvée", a contribué à accentuer la rumeur.

Or, ce crâne, tout comme celui du sorcier, sont conservés dans les réserves des collections d’anthropologie du Muséum national d'Histoire naturelle et n’ont jamais été ni exposés au public, ni perdus au sein de l’institution scientifique.