Représentation 3D de la morphologie d'un coronavirus.
Recherche scientifique

En 2022, tirons les leçons des controverses sur les origines du SARS-Cov-2

La question de l’origine du Covid-19 occupe une place centrale dans la médiatisation inédite de la pandémie. Et questionne la manière dont les politiques de santé publique doivent s’orienter.

Le Covid-19 est probablement la pandémie et la maladie infectieuse la plus médiatisée de tous les temps. D’autres zoonoses – ces maladies dont l’agent infectieux est issu d’un animal – ont eu aussi un grand retentissement sociétal, comme le sida (virus HIV) qui tue encore plus d’un demi-million de personnes par an dans le monde.

Et d’autres maladies tout aussi terribles, comme le paludisme ou Ebola, frappent tout particulièrement les régions tropicales et on peut regretter qu’elles n’inquiètent guère les habitants et les dirigeants des puissants pays du Nord.

Émergence du Covid-19, à chacun son hypothèse !

La question de l’origine du Covid-19 a une part importante dans la médiatisation inédite de la pandémie. Les hypothèses se sont multipliées, évoquant aussi bien le passage naturel à l’humain depuis une chauve-souris – avec ou sans hôte intermédiaire (pangolin, civette, vison, chien viverrin, etc.) – que l’échappement d’un laboratoire de virologie dans la ville chinoise de Wuhan.

Chaque « corporation » y a été de son hypothèse : les scientifiques écologues, dont je suis, ont replacé l’émergence du Covid-19 dans le contexte de l’augmentation inquiétante des émergences de nouvelles maladies zoonotiques, causées par les atteintes à l’environnement.

Les militants écologistes ont alerté sur le rôle possible des élevages animaux (notamment de visons) comme réacteurs de sélection d’agents infectieux.

Quant aux biologistes moléculaires de laboratoire qui utilisent la transgenèse (insertion de gènes au sein de virus) comme outil de travail quotidien pour comprendre la fonction de gènes ou de protéines spécifiques des virus, ils se sont inquiétés du manque de transparence des travaux menés dans les laboratoires de Wuhan en Chine, ville présumée à tort ou à raison lieu d’émergence de la pandémie. Chacun voit donc midi à sa porte, en émettant le souhait (très idéalisé) d’un meilleur comportement dans son domaine sociétal d’intérêt.

Bien que de moindre intérêt, on peut également mentionner le développement de nombreuses publications, passablement complotistes, qui traquent les informations disponibles dans les courriers et documents des différents acteurs du domaine (groupes de recherche, OMS, chercheurs, etc.) ; et pensent y trouver les preuves de méfaits ou d’imprudences expliquant l’émergence de la maladie.

Enfin, pour compléter cette liste déjà trop longue, on doit aussi signaler des épisodes de politique internationale incriminant tel ou tel personnage ou institution, à tort ou à raison, mais pour des raisons d’adversité politique.

Le concept central d’« une seule santé »

Que penser de toutes ces hypothèses ? En fait, chacune d’entre elles, sauf sans doute celle de l’origine naturelle, fait passablement l’impasse sur les démarches scientifiques intégratives qui sont le futur indispensable des recherches sur les maladies infectieuses.

Depuis des années maintenant, biologistes et médecins ont forgé en recherche scientifique le concept d’« une seule santé » (One Health) : la santé humaine dépend de celle de l’environnement et de celle des autres animaux.

Ce concept prend ainsi en compte toutes les hypothèses formulées pour permettre de juger à terme de leur vraisemblance à la lumière des éléments recueillis : agents infectieux inconnus ou émergents (virus, bactéries, protozoaires, etc.) dans leurs animaux réservoirs, rôle des élevages et trafics (qui concentrent et affaiblissent ces animaux réservoirs) ; enfin, rôle des laboratoires de biologie médicale qui devraient étudier cette problématique sans générer de risques supplémentaires.

À ce dernier égard, il est particulièrement ironique de constater que les tenants des fuites de laboratoire de Wuhan mentionnent eux-mêmes la nécessité de juger du rôle des protéines spike des nouveaux variants (Omicron notamment) en les étudiant leur biologie grâce à la transgenèse dans des lentivirus.

Les expertises collégiales nationales (FRB) et internationales (IPBES) mentionnent toutes cette exigence absolue d’intégration « une seule santé » pour comprendre et juguler l’émergence de maladies dans le futur !

Les humains ne vivent pas en vase clos et leur santé dépend évidemment de celle de leur environnement : il faut sans cesse le rappeler tant nos attitudes demeurent anthropocentriques et centrées sur les remèdes a posteriori chez les humains plutôt que sur les études intégratives a priori des crises sur les écosystèmes.

À la recherche de nouvelles connaissances cruciales

Pour prévenir l’émergence de nouvelles maladies, nous sommes donc directement dépendants des connaissances que nous avons sur la biodiversité : celle des agents infectieux et celle des animaux réservoirs.

Chaque étude récente de l’évolution des coronavirus montre que nous ne connaissons que des parents proches, mais pas immédiats, du SARS-CoV-2, tous localisés dans l’Asie du Sud-Est où l’origine de la maladie peut donc être vraisemblablement située.

À cet égard, l’émergence présumée à Wuhan (province d’Hubei) doit être réinterprétée en regard des détections bien plus précoces de la maladie déjà transmise en plusieurs points du globe, et notamment en Europe (dans cette étude française notamment).

Cela signifie que les parents et précurseurs du SARS-CoV-2 ne sont pas encore connus et se trouvent quelque part dans des animaux ou humains de cette région.

Depuis le début de la pandémie, de nouveaux résultats importants ont été acquis, avec la découverte de nouveaux coronavirus en Thaïlande, au Cambodge et au Laos.

Ces études sont cruciales, car elles permettent de dessiner à grands traits l’évolution de ces virus et de leurs caractéristiques biologiques. D’autres coronavirus déjà connus de chauve-souris rhinolophes, par exemple en Russie, ont été par ailleurs testés pour leur capacité malheureusement positive à se fixer sur les protéines des cellules humaines et donc à constituer un risque potentiel.

Pour comprendre comment lutter efficacement contre le virus, il est en effet important de savoir sous quels régimes de sélection naturelle ces traits originels sont apparus. Pour empêcher de futures émergences, il est également primordial de connaître les animaux réservoirs impliqués et les éventuels hôtes intermédiaires.

La quête de l’origine

Comme tout un chacun le perçoit désormais, les virus évoluent rapidement et ce que l’on appelle « variants » sont le résultat de mutations apparaissant et se transmettant dans des populations colossales de virions. Pour mémoire, un malade infecté héberge de 1 à 100 milliards de virions (nombre total de particules virales).

La population mondiale de SARS-CoV-2 compte donc des milliards de milliards de virions, issus d’autant d’épisodes de réplications dans nos corps avec à chaque fois la possibilité d’apparitions et de transmissions de mutations !

Mais l’origine de certains virus peut aussi être recherchée dans des évènements de recombinaisons entre virions occupant les mêmes cellules de leur hôte, et générant des mosaïques à partir de virions différents. Si l’on ne connaît pas raisonnablement les virus dans la nature, il est illusoire de penser comprendre un jour leur origine.

Il a ainsi fallu quatorze ans pour identifier une localité en Asie d’où était issu le virus du premier SARS qui, bien que moins pandémique, avait tout de même touché au moins 8000 personnes et causé plus de 700 décès dans huit pays différents.

Récemment encore, on s’est aperçu que le virus Ebola pouvait resurgir dans des populations humaines à la suite d’une « dormance » chez un individu apparemment « porteur sain ».

Et certains biologistes imaginent actuellement que des variants très modifiés (comme Omicron) pourraient apparaître soudainement dans des populations humaines à la suite d’une longue évolution dans le corps de malades immunodéprimés, une hypothèse néanmoins très spéculative

La biologie de terrain des virus et de leurs réservoirs est donc fondamentale à toute politique de santé publique. Aujourd’hui, de nombreuses équipes recherchent activement les précurseurs du SARS-CoV-2, mais encore sans succès immédiat.

Le Covid-19, une zoonose parmi d’autres

Il est désormais essentiel que la focalisation médiatique sur le Covid-19 ne devienne pas l’arbre qui cache la forêt.

Depuis 1940, le nombre d’émergences de maladies infectieuses ou de pic épidémiques a augmenté considérablement, et chacun a entendu le nom de plusieurs d’entre elles, apparues ou devenues épidémiques récemment : sida, Ebola, Nipah, MERS, SARS, maladie de Lyme, Zika, virus du Nil occidental, etc.

La fragmentation et la conversion effroyable des milieux, avec des millions d’hectares de forêts tropicales disparaissant chaque année, nous met en contact croissant avec la faune sauvage et donc les animaux réservoirs qui sortent du bois.

La croissance exponentielle des centres urbains, les braconnages et trafics générés, les élevages industriels aux conditions sanitaires désastreuses et, enfin, les transports internationaux en croissance folle, représentent autant de facteurs de transferts d’agents infectieux vers les humains et d’émergence de maladies.

Voir la question des zoonoses émergentes uniquement comme un problème de gestion de laboratoire de recherche à Wuhan serait, on le comprend, très dangereusement réducteur.

Une telle focalisation nous empêcherait de prêter attention à tous les problèmes existants ou en devenir de santé environnementale. Près de nous, en Europe, qui se soucie par exemple de la maladie de Lyme, de la toxoplasmose ou de la leptospirose, alors que leur impact et leur gestion sont problématiques ? Ces agents infectieux ne se sont pas échappés de laboratoires mal gérés !

En 2022 comme à plus long terme, prendre en compte l’état de l’environnement doit rester une problématique majeure des politiques de santé publique.

Philippe Grandcolas, Directeur de recherche CNRS, systématicien, directeur de l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.