région désertique du sud-ouest de la Libye
Sciences

Une branche "fantôme" de l'humanité découverte grâce à l'ADN de momies du Sahara vert

Des scientifiques ont analysé l'ADN ancien de deux femmes retrouvées momifiées dans l'abri rocheux de Takarkori en Libye, au centre du Sahara. Elles auraient vécu il y a environ 7 000 ans, durant la "période humide africaine", lorsque l’eau était disponible et le Sahara était verdoyant. Entretien avec Céline Bon, paléogénéticienne au Muséum.

Les scientifiques ont réussi à isoler les premiers génomes complets d’individus ayant vécu durant cette période au Sahara. Cette analyse révèle que ces femmes appartenaient à une lignée génétique nord-africaine jusqu'alors inconnue car très isolée, et qui s'est séparée des populations d'Afrique subsaharienne à peu près au même moment que les ancêtres des humains qui ont quitté l'Afrique.

En quoi cette découverte est-elle exceptionnelle ?

Les restes de ces deux femmes proviennent d’une région extrêmement chaude et aride, le sud-ouest de la Libye : dans ces conditions, l’ADN se préserve très mal, et les données génétiques anciennes sur les populations qui vivaient dans le Sahara il y a des milliers d’années sont extrêmement rares. L'ADN de ces deux femmes permet donc d'explorer une facette mal connue de la diversité génétique humaine, et de mieux comprendre comment elle se structurait dans le passé.

Qu'est-ce que l'analyse de leur génome révèle sur leur population d’appartenance ?

La population à laquelle ces femmes appartenaient n’avait encore jamais été identifiée ! Génétiquement parlant, ces deux femmes sont plus proches des populations actuelles et anciennes non africaines que des populations d’Afrique sub-saharienne. Mais, contrairement à toutes les populations non africaines, elles ne montrent pas dans leur génome de traces d’ADN Néandertalien, ou alors en toutes petites quantités. Ainsi, elles appartiennent sans doute à une population qui a divergé des autres populations non africaines avant le métissage avec Néandertal.

Que sait-on de leurs pratiques culturelles ?

L’étude archéologique du site avait déjà montré que la population de Takarkori était une population d’éleveurs, déjà néolithisés. Dans cette région, les pratiques agricoles se diffusent à partir du Proche Orient, en passant par le Mont Sinai, et à partir du sud de la Péninsule Ibérique, via le détroit de Gibraltar. Pourtant, les deux femmes dont l’ADN a été étudié ne portent pas de traces génétiques de lien avec les agriculteurs éleveurs du Proche Orient ou de l’Europe du Sud-Ouest. Cela démontre donc que le pastoralisme s’est développé dans un premier temps sans métissage, via uniquement un changement de pratiques, une acculturation.

En quoi ces analyses peuvent-elles changer notre perception du Sahara à l’époque ?

Ces analyses montrent que le Sahara vert était un lieu où se retrouvaient de multiples populations d’origines différentes : les populations apparentées à celles de Takarkori, mais également celles apparentées aux chasseurs-cueilleurs du Levant, qui sont en partie les ancêtres des chasseurs-cueilleurs ibéromaurussiens de Taforalt. Mais ce que montre surtout cette étude, c’est qu’il y a encore 7 000 ans, vivaient encore des populations portant une diversité génétique très particulière, aujourd’hui disparue. On peut se demander combien il en reste à découvrir dans les montagnes du Sahara.

Entretien avec

Céline Bon

Céline Bon

Paléogénéticienne au Muséum national d'Histoire naturelle (UMR 7206 Éco-anthropologie)

Référence scientifique

Salem, N., van de Loosdrecht, M. S., Sümer, A. P., Vai, S., Hübner, A., Peter, B., Bianco, R. A., Lari, M., Modi, A., Mohamed Al-Faloos, M. F., Turjman, M., Bouzouggar, A., Tafuri, M. A., Manzi, G., Rotunno, R., Prüfer, K., Ringbauer, H., Caramelli, D., di Lernia, S. & Krause, J. (2 avril 2025). Ancient DNA from the Green Sahara reveals ancestral North African lineage. Nature,  https://doi.org/10.1038/s41586-025-08793-7