Édition

Tout savoir sur les Pygmées Aka

Un travail interdisciplinaire de longue haleine a permis de terminer L’encyclopédie des Pygmées Aka, ou comment découvrir cette société d’Afrique centrale et sa culture, à travers sa langue.

Un peuple au cœur de la forêt « primaire »

Les Pygmées Aka seraient environ 100.000 à vivre dans la forêt d’Afrique centrale (au sud de la République centrafricaine et au nord de la République du Congo). Ce peuple de chasseurs-collecteurs vit dans un milieu forestier, à l’écart du monde moderne. Au cœur d’une forêt dense qui constitue la base de leur culture, les Aka ont une connaissance pointue de leur environnement. Fruit d’un travail de 37 années, l’Encyclopédie des Pygmées Aka (EPA) permet de découvrir ce peuple au travers d’un prisme inédit : sa langue. Le premier volume est paru en 1981, le dernier en 2018.

Une langue, huit approches pour la comprendre

5000 pages en 16 volumes sont entièrement consacrées au aka, la langue de tradition orale de cette société. Le travail a démarré sur le terrain dès les années 70 au CNRS, sous l’impulsion de la linguiste Jacqueline M. C. Thomas, rapidement rejointe par le musicologue Simha Arom et l’ethnoécologue Serge Bahuchet, puis poursuivi par des chercheurs maintenant réunis au sein d’une Unité mixte de recherche du Muséum. L’ouvrage encyclopédique rassemble les connaissances acquises par ces chercheurs de différentes disciplines au cours de leur travaux spécifiques : linguistique, ethnologie, ethnolinguistique, ethnosciences (ethnobotanique, ethnozoologie, ethnomédecine), écologie et ethnomusicologie.

Toutes les connaissances des Aka

L’idée initiale consiste à réunir au sein d’un dictionnaire tous les vocabulaires particuliers liés aux différents domaines d’étude. Plus qu’un dictionnaire, il s’agit en fait d’un thésaurus illustré regroupant toutes les connaissances des Aka : vie sociale, environnement, techniques…

Loin de délivrer une image figée et utopique, l’EPA est le témoignage de la richesse et de l’identité culturelle d’un peuple installé sur ses terres depuis des siècles. Elle s’attache à rendre compte des changements de ces 37 dernières années, marquées par les pressions sur leur milieu naturel et sa surexploitation. La vie des Aka se modifie, de même que le regard anthropologique des scientifiques, et les auteurs s’attachent aussi à rendre compte de ces changements.

Bété, vándè, ou súmá ?

Près de 1200 photos et dessins illustrent les travaux, et éclairent la complexité et la richesse du peuple aka. Au cœur des tâches quotidiennes, les différents outils sont représentés dans l’encyclopédie. Kélé signifie un manche, une poignée. Mais en fonction des outils, le manche porte un nom spécifique : bété, pour un manche de couteau, vándè pour un manche de sagaie, ou súmá pour un manche de hache.

L’EPA est aussi une porte d’entrée à la compréhension de la musique des Aka, des chants polyphoniques étroitement liés à la vie sociale et rituelle des groupes de Pygmées.

Comment s’organise l’encyclopédie ?

Concrètement, l’EPA est divisée en trois livres, chacun comportant plusieurs volumes.

Le livre I, introductif, a été conçu pour permettre de trouver dans le dictionnaire les informations culturelles en consultant les mots pertinents. Il présente la société aka grâce à sa langue et les résultats de terrain des deux premières décennies de travail.

Le livre II, le Dictionnaire ethnographique aka-français, en 11 volumes, totalise 7456 entrées, illustrées par près de 2000 photos et dessins. Des renvois systématiques d’entrée en entrée permettent de circuler à travers le dictionnaire. Il est organisé selon l’ordre phonologique, ce qui nécessite une certaine connaissance linguistique, d’où l’importance des renvois.

Le livre III, le Lexique français-aka, est à la fois l’aboutissement et le point d’entrée dans l’Encyclopédie. Il permet une navigation plus facile entre les différents volumes.

Quelle origine pour ces peuples autochtones ?

L'intérêt de ce travail titanesque réside dans le caractère particulier des Pygmées Aka, de leur situation linguistique, sociale et politique. Cette ethnie parle une langue qui aujourd'hui lui est propre, surement influencée par d’autres groupes autochtones à un moment de leur histoire.

L’EPA a permis des recherches comparatives avec les sociétés voisines ou d’autres groupes pygmées, permettant de mieux comprendre l’origine de ces peuples autochtones et la complexité de leurs relations ancestrales avec les autres populations non-pygmées de la même région. Une dizaine de thèses a été consacré entre 1998 et 2017, en particulier au Muséum, à des sociétés encore peu connues : les Baka et Bedzan au Cameroun, ou les Koya à l’est du Gabon. L’ensemble des recherches montre que les histoires de ces sociétés sont liées les unes aux autres, et cela depuis des centaines d’années.

Le prochain objectif est maintenant de diffuser ces connaissances et ressources auprès des Aka, par tous les moyens, notamment numériques.