Un viel homme et un jeune couple dans la rue.
Recherche scientifique

Vieillissement démographique de la France : à quoi s’attendre d’ici un demi-siècle ?

Les dernières projections de l’Insee annoncent la poursuite du vieillissement de la population dans les prochaines décennies. Sur quelles bases repose ce pronostic ?

Les projections de population publiées récemment par l’Insee annoncent la poursuite du vieillissement démographique de la France dans les 50 prochaines années. Tous les scénarios conduisent à une hausse importante de la proportion de personnes âgées d’ici 2070. Sur quelles bases repose ce pronostic ? Examinons-les en passant en revue les différents scénarios envisagés.

L’Insee a publié en novembre 2021 de nouvelles projections de population pour la France à l’horizon 2070. D’après le scénario central – le plus probable, et prolongeant les tendances démographiques récentes –, la France compterait 68,1 millions d’habitants au 1er janvier 2070, contre 67,4 millions au 1er janvier 2021, soit 700 000 de plus. La population continuerait d’augmenter jusqu’à un maximum de 69,3 millions en 2044 puis diminuerait ensuite jusqu’à 68,1 millions en 2070.

Doublement des 75 ans ou plus d’ici 2070

Entre 2021 et 2070, la population n’augmente qu’après 75 ans (figure 1) : elle double à ces âges, l’espérance de vie progressant et les générations nées avant 1946 étant remplacées par celles un peu plus nombreuses nées de la fin du baby-boom au milieu des années 1990.

Évolution de la population de la France d’ici 2070 d’après différents scénarios. Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022

© L.Toulemon

Entre 60 et 75 ans, les effectifs restent à peu près les mêmes. En revanche, en dessous de 60 ans, ils diminuent de 10 %.

La projection centrale est complétée par 26 scénarios alternatifs combinant différentes hypothèses d’évolution de la fécondité, de la mortalité et des migrations.

Le scénario central retient une fécondité de 1,8 enfant en moyenne par femme, soit un niveau proche de celui d’aujourd’hui ; une mortalité continuant à baisser au même rythme qu’au cours de la décennie 2010 ; et un solde migratoire (entrées moins sorties du territoire) de +70 000 personnes par an.

Selon les hypothèses de fécondité « haute » (2,0 enfants) ou « basse » (1,6), la population en 2070 varie de plus ou moins 4 millions autour des 68 millions d’habitants du scénario central ; de même, selon qu’on fixe le solde migratoire à 20 000 par an (hypothèse « basse ») ou 120 000 (hypothèse « haute »), elle varie de plus ou moins 4 millions.

Les variantes en matière d’évolution de la mortalité ont un impact plus limité : plus ou moins 2,4 millions. Au total, en combinant les hypothèses haute ou basse de chaque composante, la fourchette va de 58 à 79 millions d’habitants en 2070 (figure 2).

 Évolution de la population de la France d’ici 2070 d’après différents scénarios. Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022, Population & Sociétés, n° 597

© L.Toulemon

L’incertitude sur les effectifs varie selon les âges (figure 3). Elle est la plus forte pour les générations qui ne sont pas encore nées en 2021. Par exemple, l’effectif des 0-19 ans en 2070 est de 14 millions selon le scénario central, mais avec une fourchette large, de 11 à 17 millions, selon les scénarios bas et haut, soit plus ou moins 25 % autour de la projection centrale.

 Pyramide des âges de la France en 2021 et 2070, selon les scénarios bas, central et haut. Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022, Population & Sociétés, n° 597.

© L.Toulemon

En revanche, pour les personnes de 75 ans ou plus, qui sont donc déjà nées en 2021, les scénarios extrêmes conduisent à des chiffres de 10 à 14 millions en 2070, soit plus ou moins 18 % autour de la projection centrale, 12 millions. C’est essentiellement l’hypothèse de mortalité qui fait varier les effectifs des 75 ans ou plus entre 2021 et 2070.

Mais quel que soit le scénario, leur nombre augmente très fortement (de 89 % dans le scénario central), l’espérance de vie progressant et les générations nées de 1969 à 1994 se substituant aux générations creuses nées avant 1946.

Incertitude plus importante pour les naissances que pour les décès

Le scénario central conduit à un nombre annuel de naissances diminuant de 80 000 (-10 %) d’ici 2070 par rapport au niveau d’aujourd’hui (740 000 naissances en 2020 ; 660 000 en 2070) (figure 4a). En revanche, le nombre annuel de décès augmente de 160 000, passant de 610 000 en 2019 (avant la pandémie de Covid-19) à 770 000 en 2070, soit une hausse de 25 % (figure 4b).

Naissances et décès annuels en France selon différents scénarios. Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022, Population & Sociétés, n° 597

© L.Toulemon

Ces chiffres varient selon le scénario, avec une fourchette plus large pour les naissances que les décès. Tous les scénarios conduisent par ailleurs à une hausse très importante des décès entre aujourd’hui et 2045 : les générations nombreuses du baby-boom, qui atteignent des âges très élevés à cette période, seront en train de s’éteindre.

 Naissances et décès en France de 1970 à 2070 (scénario central). Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022, Population & Sociétés, n° 597

© L.Toulemon

À partir de 2035, le nombre de décès dépasse le nombre de naissances dans le scénario central (figure 5). Le solde naturel (différence entre les nombres de naissances et de décès), devenu négatif, se creuse ensuite et atteint -110 000 en 2070.

Ce solde varie fortement selon les scénarios : entre -330 000 et +160 000. Mais comme tous les scénarios incluent l’hypothèse d’un solde migratoire positif (de 20 000 à 120 000 par an), la population est encore croissante en 2070 dans une partie d’entre eux (11 sur 27).

Retour sur 50 ans d’évolution des projections

Comment les hypothèses sur lesquelles reposent les projections publiées par l’Insee ont-elles évolué depuis 50 ans ? Elles ont beaucoup changé pour ce qui est de l’espérance de vie (voir ici et ici).

Évolution de l’espérance de vie à la naissance en France depuis 1950, observations et projections (scénario central). Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022, Population & Sociétés, n° 597

© L.Toulemon

L’espérance de vie à la naissance tous sexes confondus était de 72 ans en 1970 (contre dix ans de plus en 2021 : 82 ans). Le diagnostic en 1970 était qu’elle avait pratiquement atteint ses limites ou en était proche.

Après avoir beaucoup augmenté au sortir de la Seconde Guerre mondiale et dans les années 1950, gagnant près de 5 mois par an pendant cette décennie, l’espérance de vie a progressé plus lentement dans les années 1960, ce ralentissement confortant la vision d’un plafond biologique (figure 6 ci-contre).

La projection publiée en 1970, dont l’horizon est 1995, prolonge la tendance à la hausse de l’espérance de vie, d’abord au même rythme que dans la décennie 1960, puis à un rythme décroissant. La projection suivante, publiée en 1979, est plus pessimiste et considère que l’espérance de vie va progresser plus lentement encore, puis plafonner à 73,8 ans en 2000, tous sexes confondus. Ces deux projections se sont révélées très en deçà de l’évolution réelle.

Le constat que les plafonds même rehaussés sont régulièrement dépassés au bout de quelques années conduit à l’abandon de l’idée même de plafonnement dans les projections publiées à partir de 1995. Celles-ci extrapolent la tendance récente sur toute la période de projection, sans fixer de limite. Elles correspondent assez bien à l’évolution observée pour l’instant.

La fécondité : stable depuis la fin du baby-boom

Concernant la fécondité, les projections ont en revanche peu changé en 50 ans (voir tableau ci-contre). Mis à part la projection publiée en 1970, sensiblement plus élevée que les autres (on est encore dans la période du baby-boom, même s’il est sur sa fin), les révisions sont légères, et tantôt à la hausse, tantôt à la baisse, reflétant à chaque fois la tendance récente de l’indicateur de fécondité.

Ce dernier, stable sur le long terme depuis la fin du baby-boom, enchaîne en effet des périodes de baisse et de hausse, entre 1,7 et 2,0 enfants en moyenne par femme.

Hypothèses centrales des projections démographiques de la France depuis 1970 pour la fécondité et les migrations. Laurent Toulemon, Élisabeth Algava, Nathalie Blanpain, Gilles Pison, 2022, Population & Sociétés, n° 597

© L.Toulemon

Pour le solde migratoire, les hypothèses ont sensiblement évolué en 50 ans : de 130 000 par an dans la projection de 1970, le solde passe à 0 dans les deux suivantes (publiées en 1979 et 1986), en lien avec l’arrêt de la migration de travail en 1973. Il varie ensuite du simple au double dans les projections suivantes, entre 50 000 et 100 000 par an (voir tableau au-dessus).

Que nous apportent ces nouvelles projections publiées par l’Insee ? Elles confirment le vieillissement de la population dans les prochaines décennies, à un rythme rapide d’ici 2040, puis ralenti ensuite. Si la taille de la population projetée d’ici 2070 est fortement conditionnée par les hypothèses retenues, tous les scénarios conduisent, sans exception, à une hausse importante de la proportion de personnes âgées à cet horizon.

L’ampleur des variations entre les scénarios rappelle les incertitudes sur l’évolution de la population à long terme, tout en confirmant la poursuite inéluctable du vieillissement.

Ce texte est adapté d’un article publié par les auteurs dans Population et Sociétés n° 597, « La population française devrait continuer de vieillir d’ici un demi-siècle », qui détaille les changements entre ces projections et les projections précédentes publiées en 2016.

Laurent Toulemon, Directeur de recherches, Institut National d'Études Démographiques (INED); Élisabeth Algava, Statisticienne et démographe à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), chercheuse associée, Institut National d'Études Démographiques (INED); Gilles Pison, Anthropologue et démographe, professeur au Muséum national d'histoire naturelle et chercheur associé à l'INED, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et Nathalie Blanpain, Statisticienne et démographe à l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et chercheuse associée, Institut National d'Études Démographiques (INED)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

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