La marche des babouins comparée à celle des humains
Une publication scientifique dévoile les résultats d’une étude comparant l’activité musculaire de la marche des babouins à celle des humains. On en parle dans cet entretien avec François Druelle, chercheur au Muséum.
Initiés en 2006 par Gilles Berillon, paléoanthropologue au Muséum, ces travaux ont été amorcés, dans un premier temps, avec une approche observationnelle grâce à l’installation d’une plateforme technique d’analyse de mouvement au sein même de l’enclos des babouins à la station de primatologie du CNRS. L’équipe de recherche avait ainsi collecté des données inédites sur les mouvements en bipédie et en quadrupédie en intégrant divers facteurs tels que l’âge des babouins et leur sexe. Une approche pertinente mais qui doit être complétée par une approche expérimentale pour obtenir une image plus holistique des processus en jeu. Cette seconde approche peut notamment permettre de contrôler certains paramètres, comme la vitesse de déplacement des babouins, tout en enregistrant l’activité musculaire pendant la marche.
Pour mener ces nouvelles études, les analyses ont été reprises avec des animaux entrainés à collaborer avec les chercheurs. Avec l’appui de l’expertise en entraînement animal développée à la station de primatologie du CNRS et grâce à une méthode de renforcement positif1, il a été possible de faire marcher (en quadrupédie et en bipédie) quelques babouins appareillés pour l’étude de l’activité musculaire, au côté d’un expérimentateur et de faire des séquences de pas répétés. In fine, les animaux ont été capables de marcher sur un tapis roulant afin d’allier le mouvement à la vitesse.
Pouvez-vous décrire la manière dont marchent les babouins ?
Les babouins se déplacent généralement en quadrupédie au sol. C’est un mode de locomotion sur les quatre membres dans un contexte de déplacement plutôt horizontal. Lorsque les substrats (ou supports) s’inclinent, comme ça peut être le cas dans les arbres, la quadrupédie se mue en grimper vertical.
Chez les primates non humains, il y a beaucoup de spécificités. Ils ne marchent pas comme un chien ou un chat, par exemple. Les mammifères quadrupèdes ont généralement une séquence de pas latérale, c'est-à-dire qu'ils déplacent leur membre postérieur et antérieur séquentiellement d’un même côté, puis de l’autre.
En revanche, la séquence de pas des primates non humains est diagonale, c’est-à-dire que quand ils déplacent leur membre postérieur droit, ils bougent ensuite leur membre antérieur gauche et inversement.
On pense que les premiers primates ont adopté cette séquence de pas particulière assez rapidement. Aujourd’hui, tous marchent de cette manière, même les lémuriens. Mais il y a des variations : les jeunes primates ont tendance à adopter une plus grande proportion de séquences latérales qu’à l’âge adulte. On peut donc penser que la maturité du système neuromoteur est importante dans la mise en place de la séquence de pas diagonale.
Aujourd'hui, on ne sait pas encore pourquoi les babouins marchent ainsi. Une piste de réponse peut se retrouver dans le fait que la séquence de pas diagonale confère plus de stabilité pour se déplacer dans les arbres.
Mais les babouins ont aussi un mode de locomotion bipède. Quelle différence avec celui des humains ?
Lorsqu’on analyse les différents modes de locomotion, on peut regarder le centre de masse, comment il bouge pendant le mouvement. Lorsqu’on se déplace, il y a un transfert d’énergie, le centre de masse monte et descend de manière régulière. C’est un mécanisme que l’on peut modéliser avec un « pendule inverse ». Quand il est haut, on a plus d’énergie potentielle et quand il descend, on a plus d’énergie cinétique (c’est-à-dire de vitesse).
Nous les humains, en « pendule inverse », on récupère 70 % en moyenne de notre énergie, le centre de masse est positionné de manière optimale et notre activité musculaire est relativement réduite quand on marche.
- 1Une méthode non invasive qui inclut notamment un système de récompense.
Quand le babouin se déplace en mode bipède, il ne récupère que 10 % de son énergie avec ce mécanisme. Comme chez tous les primates non humains, il est en posture fléchie au niveau de la hanche et des genoux. Il n’y a pas d’hyperextension de la hanche et le pied est en protraction (il est dirigé vers l’avant par rapport à la hanche).
Le babouin utilise cette bipédie de manière naturelle. Cela lui permet de transporter des choses (comme de la nourriture), d’investiguer, il s’en sert en position d’alerte, en cas de menace, de combat ou encore dans les jeux. Mais comment les muscles s’activent les uns par rapport aux autres dans cette posture ?
Pour le savoir, on a observé six muscles à l’aide d’électrodes de surface, pour être le moins invasif possible et ne pas perturber le mouvement. On a observé que beaucoup de muscles s’activent ensemble pendant la phase d’appui. En mode bipède, il y a en effet des contraintes d’équilibre plus importantes qu’en quadrupédie. C’est ce qui explique une telle activité musculaire. Tous les muscles sont coactivés.
En dépit de ces contraintes, un résultat intéressant que l’on a observé est que la coordination des muscles lors du déplacement bipède est plus proche de la bipédie humaine que le mode de déplacement quadrupède ne l’est de la bipédie humaine. Sur la base d’études précédentes menées notamment par une équipe italienne, on s’attendait à ce que les modes préférentiels des espèces, la quadrupédie du babouin et la bipédie de l’être humain, soient plus équivalents en termes de coordination musculaire. Ce n’est pas le cas ici. Par contre, de nombreuses différences existent aussi entre la bipédie du babouin et celle des humains. Par exemple, le talon du babouin ne touche jamais le sol alors que les humains attaquent généralement le sol avec le talon pendant la marche.
Comment l’environnement affecte-t-il la démarche des babouins ?
On peut effectivement se poser la question de l’ajustement des stratégies locomotrices avec les déplacements dans les arbres. Quand le babouin se déplace sur une branche, son pied va opérer un mouvement d’inversion, il va se tourner sur la branche pour la saisir. Plus le substrat est petit, plus il va s’en saisir.
Théoriquement, le milieu arboricole est plus coûteux en termes d’énergie. Sur le sol, on peut mettre en place une démarche régulière et efficace, mais dans les arbres, il faut sans cesse changer la coordination pour agripper les branches. Dans ce milieu plus complexe, le babouin ne peut donc pas faire que de la quadrupédie. Globalement, il a plutôt une vie terrestre. C’est un spécialiste de la quadrupédie mais il a aussi une bonne capacité de saut et c’est un très bon grimpeur sur des substrats durs (sur des falaises par exemple).
À l’avenir, on va analyser des jeunes babouins qui marchent en bipédie et en quadrupédie à différentes étapes de leur développement : un an, deux ans… Cette nouvelle étude portera donc sur de jeunes individus qui se déplacent sur tapis roulant, en suivi longitudinal. Notre prise de données est terminée et l'analyse des données a déjà commencé.
Le sujet du développement est rarement abordé dans nos domaines car étudier la période juvénile est plus complexe et synonyme de plus de variabilité. Pourtant, d’un point de vue évolutionnaire, le développement de la locomotion joue un rôle majeur dans l’adaptation et la survie des espèces. On aimerait observer la manière dont le développement influence les différents modes de locomotion chez les babouins, et notamment leur déplacement préférentiel en quadrupédie versus un déplacement occasionnel la bipédie. L’étude de la bipédie chez des modèles comparatifs de type primate non-humain continue de représenter un grand intérêt pour les questions d’évolution de la locomotion au sein des hominines, c’est-à-dire chez les membres de la lignée humaine.
Référence scientifique :
François Druelle, Marco Ghislieri, Pablo Molina-Vila, Brigitte Rimbaud, Valentina Agostini, Gilles Berillon, A comparative study of muscle activity and synergies during walking in baboons and humans, Journal of Human Evolution, Volume 189, 2024,103513, ISSN 0047-2484. https://doi.org/10.1016/j.jhevol.2024.103513
Entretien réalisé en mars 2024. Remerciements à François Druelle, chargé de recherche spécialisé en morphologie fonctionnelle, locomotion, primates au Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7194 – Histoire naturelle de l’Homme préhistorique).