Nouvelles preuves d’une présence précoce d’Homo sapiens en Asie du Sud-Est
Une étude internationale dirigée par Fabrice Demeter (Université de Copenhague et Muséum national d’Histoire naturelle), Sarah Freidline (Université de Floride Centrale et Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste) et Laura Shackelford (Université de l’Illinois à Urbana-Champaign), publiée dans Nature Communications le 13 juin 2023, révèle la découverte de restes humains attestant de la présence d’Homo sapiens en Asie du Sud-Est continentale entre 86 000 et 68 000 ans. Ils témoigneraient d’une des plus anciennes vagues migratoires d’humains modernes en Asie du Sud-Est et éclairent l’histoire du peuplement de la région.
Les données génétiques et fossiles actuelles s’accordent sur une origine d'Homo sapiens en Afrique aux alentours de 300 000 ans. La date d’arrivée d’Homo sapiens en Eurasie depuis l’Afrique, ainsi que le degré de métissage ou de remplacement des populations archaïques locales, sont en revanche des questions qui restent à résoudre. On ignore notamment si la dispersion fut précoce (entre 130 000 et 80 000 ans) ou tardive (après 80 000 ans).
Des analyses génomiques sur les populations australasiennes actuelles (Australiens, par exemple) montrent qu’il a probablement existé un mouvement précoce de dispersion depuis l’Afrique vers l’Est du globe, qui fut sans doute éphémère, puisque sa contribution génétique à la population actuelle est inférieure à 1 %. La plupart des données plaident ainsi plutôt en faveur d’une dispersion unique et rapide après 50 000 à 60 000 ans.
Le site de Tam Pà Ling avait déjà livré des restes d’Homo sapiens datant d’au moins 46 000 ans, mais cette nouvelle étude internationale a mis au jour un os frontal (TPL 6) et un fragment de tibia (TPL 7), situés dans les couches les plus profondes de la grotte. Des modélisations réalisées à partir de différentes techniques de datation ont permis d’actualiser la chronologie du site : l’os frontal confirme la présence d’Homo sapiens à environ 70 000 ans, et le tibia recule encore cette période, puisque son âge se situerait entre 86 000 et 68 000 ans.
Par ailleurs, la forme et les proportions de l’os frontal TPL 6 suggèrent une descendance d’une population asiatique gracile immigrée, issue d’Afrique ou du Proche-Orient, plutôt qu’une évolution à partir de populations locales, morphologiquement plus robustes, comme les Homo erectus ou les Dénisoviens.
Ce fossile de Tam Pà Ling, qui compte parmi les plus anciens vestiges cranio-mandibulaires d’Homo sapiens identifiés en Asie, témoigne donc d’une dispersion précoce d’Homo sapiens, dont la descendance n’aurait toutefois pas perduré.
La récente découverte locale d’une molaire de Dénisovien dans le nord du Laos ainsi que de fossiles attribués à Homo erectus, Homo floresiensis et Homo luzonensis, montrent que l'Asie du Sud-Est était une région riche en diversité humaine au Pléistocène moyen et tardif. Des études complémentaires auront à charge de préciser les modalités de peuplement et de migrations en son sein.
Référence
Early presence of Homo sapiens in Southeast Asia by 86–68 kyr at Tam Pà Ling, Northern Laos, Nature communications (2023), https://doi.org/10.1038/s41467-023-38715-y
S. E. Freidline1,2, K. Westaway3, R. Joannes-Boyau4,5, P. Duringer6, J.-L. Ponche7, M. W. Morley8, V. C. Hernandez8, M. S. McAllister- Hayward8, H. McColl9, C. Zanolli10, P. Gunz2, I. Bergmann2, P. Sichanthongtip11, D. Sihanam11, S. Boualaphane11, T. Luangkhoth11, V. Souksavatdy11, A. Dosseto12, Q. Boesch6, E. Patole-Edoumba13, F. Aubaile14, F. Crozier15, E. Suzzoni16, S. Frangeul16, N/ Bourgon2,17, A. Zachwieja18, T. E. Dunn19, A.-M. Bacon20, J.-J. Hublin2,21, L. Shackelford22,23 & F. Demeter9,14
1 Department of Anthropology, University of Central Florida, USA.
2 Department of Human Evolution, Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Germany.
3 School of Natural Sciences, Faculty of Science and Engineering, Macquarie University, Sydney, Australia.
4 Geoarchaeology and Archaeometry Research Group, Southern Cross University, Lismore, Australia.
5 Centre for Anthropological Research, University of Johannesburg, South Africa.
6 Ecole et Observatoire des Sciences de la Terre, Institut de Physique du Globe de Strasbourg, France.
7 Université de Strasbourg, Laboratoire Image, Ville Environnement, UMR 7362, UdS, CNRS, Strasbourg, France.
8 Flinders Microarchaeology Laboratory, Archaeology, College of Humanities and Social Sciences, Adelaide, Australia.
9 Lundbeck Foundation GeoGenetics Centre, Globe Institute, University of Copenhagen, Denmark.
10 Université de Bordeaux, CNRS, MCC, PACEA, UMR 5199, Pessac, France.
11 Ministry of Information, Culture and Tourism, Vientiane, PDR, Laos.
12 Wollongong Isotope Geochronology Lab., School of Earth, Atmospheric & Life Sciences, Univ. of Wollongong, Australia.
13 Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle, La Rochelle, France.
14 Eco-anthropologie (EA), MNHN, CNRS, Université de Paris, Paris, France.
15 IRD, DIADE, Montpellier, France.
16 Spitteurs Pan, Technical Cave Supervision and Exploration, La Chapelle en Vercors, France.
17 Applied and Analytical Palaeontology, Institute of Geosciences, Johannes Gutenberg University, Germany.
18 Department of Biomedical Sciences, University of Minnesota Medical School, Duluth, USA.
19 Anatomical Sciences Education Center, Oregon Health & Sciences University, Portland, USA.
20 Université Paris Cité, BABEL CNRS UMR, 8045 Paris, France.
21 Chaire de Paléoanthropologie, CIRB (UMR 7241–U1050), Collège de France, Paris, France.
22 Department of Anthropology, University of Illinois at Urbana-Champaign, Urbana, USA.
23 Carle Illinois College of Medicine, University of Illinois at Urbana- Champaign, USA.