Le site Homo de Buia où ont été découvertes les deux incisives permanentes UA 222 et UA 369
Recherche scientifique

Première étude de la structure interne de dents d’un million d’années appartenant à Homo erectus/ergaster d’Erythrée

L’équipe internationale du "Buia International project" composée notamment de chercheurs français du CNRS et du Muséum national d’Histoire naturelle a étudié par des moyens d’imagerie virtuelle la structure interne de dents ayant appartenu à des spécimens du genre Homo au Pléistocène inférieur datant d’un million d’années et découverts en Erythrée. Cette étude vient d’être publiée dans le Journal of Human Evolution et a été menée par Clément Zanolli sous la direction de Roberto Macchiarelli1, professeur du Muséum national d’Histoire Naturelle au laboratoire Histoire naturelle de l’Homme préhistorique. (CNRS/MNHN/UPVD).

Le Pléistocène inférieur (2,6 Ma à 781 000 avant le présent) serait la période qui a vu naître les premiers représentants du genre Homo. Durant cette période, le genre Homo se diversifie et plusieurs espèces coexistent. À l'exception d’Homo Sapiens, les représentants de ce genre disparaissent avant la fin du Paléolithique supérieur.

En effet, aux alentours d’un million d’années survient le déclin de Homo erectus/ergaster et l’émergence d’un groupe autrefois appelé humains modernes archaïques et désormais rassemblé au sein du morphe Homo heidelbergensis s.l. Cependant, une carence de connaissances et d’informations demeure actuellement dans l’évolution humaine aux alentours de cette période où très peu de fossiles sont connus, notamment en Afrique.

Depuis près de 15 ans d’activité en Erythrée, les missions des fouilles paléoanthropologiques et géo-paléontologiques "Buia International project", ont permis de recouvrer un assemblage humain fossile unique appartenant à Homo erectus/ergaster.

Parmi ce matériel, trois dents ont fait l’objet d’une étude par imagerie virtuelle de leur structure interne. Ces analyses ont contribué, pour la première fois, à déterminer les caractéristiques structurales et développementales des spécimens, devenus des figures-clés de l’humanité ancienne.

Entre 1995 et 1997, en plus d’un squelette crânien extrêmement bien préservé attribué à Homo erectus/ergaster, deux incisives permanentes (Fig. 1) furent découvertes sur le site Homo de Buia, en Erythrée.

Le site Homo de Buia où ont été découvertes les deux incisives permanentes UA 222 et UA 369

Fig. 1 - Le site Homo de Buia où ont été découvertes les deux incisives permanentes UA 222 et UA 369

© C. Zanolli

En 2011, sur le site nouvellement découvert de Mulhuli-Amo, situé à moins de 5 km de celui de Buia, des fragments crâniens et une molaire inférieure permanente (Fig. 2) appartenant à ce même taxon furent mis au jour. Afin d’étudier les propriétés de leur structure interne, et de préserver des caractéristiques d’ordre paléo biologique et évolutif, les trois spécimens dentaires érythréens ont été exportés temporairement en Italie, au Synchrotron Elettra de Trieste.

Le site de Mulhuli-Amo où a été trouvée la molaire inférieure permanentes MA 93

Fig. 2 - Le site de Mulhuli-Amo où a été trouvée la molaire inférieure permanentes MA 93

© C. Zanolli

Plusieurs techniques d’analyses non-destructives (par microtomographie à rayons X conventionnelle, par rayonnement synchrotron, ainsi que par micro-imagerie par résonance magnétique) ont permis de détailler à haute résolution les trois dents fossiles d’Erythrée. L’analyse comparative de leur structure externe et interne (Fig 3) a concouru à mettre en évidence un mélange de caractéristiques ancestrales (similaires à celles de spécimens plus anciens d’Afrique de l’Est), dérivées (avec un émail modérément épais comme chez les Néandertaliens) et uniques (aussi bien au niveau de la morphologie de la dentine que de la cavité pulpaire).

Reconstructions virtuelles des incisives permanentes de Buia (A) avec l’émail (rouge) et la dentine (jaune) en transparence, laissant apparaître la cavité pulpaire (bleue) et de la molaire permanente de Mulhuli-Amo, dont les tissus dentaires (émail, dentine et pulpe) sont illustrés séparément

Fig. 3 - Reconstructions virtuelles des incisives permanentes de Buia (A) avec l’émail (rouge) et la dentine (jaune) en transparence, laissant apparaître la cavité pulpaire (bleue) et de la molaire permanente de Mulhuli-Amo, dont les tissus dentaires (émail, dentine et pulpe) sont illustrés séparément

© C. Zanolli

L’étude par micro-imagerie par résonance magnétique de la microstructure de la racine de l’incisive UA 369 a révélé les lignes d’Andresen de la dentine (Fig. 4)

Fig. 4 © L. Bondioli & C. Dean

Fig.4 - Microstructure de la racine de l’incisive UA 369 révélant les lignes d’Andresen de la dentine

© L. Bondioli - C. Dean

Le décompte de ces marqueurs périodiques du développement dentaire a favorisé l’estimation du taux de croissance de la racine, il s’avère que celui-ci est compatible avec l’intervalle de variation de l’humanité moderne. Des études histologiques précédentes sur des dents appartenant à Homo erectus/ergaster suggéraient une vitesse de croissance plus rapide que pour l’humanité actuelle. Cette découverte indique que des variations significatives de croissance se sont mises en place entre la couronne et la racine il y a un million d’années, préfigurant déjà en partie l’émergence de notre propre schéma développemental dentaire.

Ces résultats, publiés dans la revue Journal of Human Evolution, ouvrent de nouvelles perspectives sur cette période du Pléistocène inférieur final. Si les restes humains disponibles pour cette époque sont à ce jour encore très rares, même en Afrique, la poursuite des fouilles paléoanthropologiques sur le site de Mulhuli-Amo qui auront lieu à la fin de l’année 2014 participera peut-être à l’apport de nouveaux éléments sur cette phase méconnue de l’évolution humaine.

Le CNRS et le Muséum national d’Histoire naturelle ont apporté leur soutien aux dernières campagnes de terrain du "Buia International Project", réalisées dans le cadre des "Grandes Fouilles Archéologiques" de l’Université romaine "La Sapienza".

Notes

1 Roberto Macchiarelli, paléoanthropologue, Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, Département de Préhistoire UMR 7194 (CNRS/ Muséum national d’Histoire naturelle). Clément Zanolli est docteur en Paléoanthropologie du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN/CNRS) et est actuellement en post-doctorat au Laboratoire Multidisciplaire de l'International Centre for Theoretical Physics, Trieste (Italie)".

Référence

C., et al., The late Early Pleistocene human dental remains from Uadi Aalad and Mulhuli-Amo (Buia), Eritrean Danakil: Macromorphology and microstructure, Journal of Human Evolution (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.jhevol.2014.04.005