Des perturbateurs endocriniens dans votre assiette ?
Que ce soit dans un biberon, une gourde, un contenant d'un plat "à emporter" ou une assiette en plastique de cantines scolaires, notre alimentation est en permanence exposée à des perturbateurs endocriniens. D’ici janvier 2025, un certain nombre de matériaux utilisés pour les contenants alimentaires seront interdits afin de protéger la santé de toutes et tous. Quels sont les effets de ces perturbateurs pour notre santé ? Comment se retrouvent-ils dans ce que l’on mange ? Comment pallier ce problème ? Entretien avec Jean-Baptiste Fini, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, spécialiste du sujet et coordinateur du projet PoLySafe.
Que sont les perturbateurs endocriniens ?
Pour comprendre ce que sont perturbateurs endocriniens il faut d’abord rappeler que les hormones sont des messagers chimiques qui permettent de transmettre une information d’un organe à un autre, le tout sous la supervision constante du cerveau. Quand un dérèglement a lieu, un retour à l’équilibre est orchestré par l’organisme grâce aux hormones.
La définition officielle dit que les perturbateurs endocriniens sont des substances ou des mélanges de substances qui vont perturber le bon fonctionnement des hormones et induire un dérèglement qui va mener à une perte de fonction physiologique et souvent une maladie chez l’individu exposé (ou ses descendants), pouvant mener à des effets populationnels. Nous sommes exposés à ces perturbateurs majoritairement par l’alimentation mais aussi via l’eau et l’air.
Historiquement, c’est en 1991 que l’on s’aperçoit pour la première fois que des substances provenant de tubes en plastique utilisés en laboratoire pouvaient, à des doses très faibles, non toxiques, imiter les hormones féminines et prendre leur place sur les récepteurs des cellules de certains organes.
Les premiers effets observés chez l’humain et les autres animaux étaient l’altération de leurs capacités de reproduction. Ces substances sont aujourd’hui suspectées d’être une des causes de l’augmentation des maladies non communicables comme l’obésité, le diabète, les cancers hormonaux-dépendants ou même le déficit d’attention des jeunes enfants.
Depuis leur découverte, de très nombreuses substances ont été étudiées. Ainsi, sur 65 000 substances chimiques largement utilisées à travers le monde, il existe environ un millier de substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens. Ces substances sont présentes parmi les plastiques, les pesticides, les retardateurs de flamme (utilisés dans les circuits imprimés mais aussi dans les textiles) mais elles sont difficilement identifiables.
Vous êtes le coordinateur du projet PoLySafe, quels sont ses objectifs ? Sur quels matériaux portent vos recherches ?
Le projet PoLySafe est un projet financé par l’agence national de la recherche (ANR)1.
Il a débuté en 2020 et termine fin 2024. Il proposait une nouvelle stratégie d’évaluation des contenants alimentaires, en ajoutant aux normes existantes une recherche des effets de perturbation endocrinienne. Ce projet suggérait également d’étudier les plats en cellulose, anticipés comme étant une solution de remplacement des plats en matières plastiques, dont l’usage sera interdit dès janvier 2025 pour la restauration dans les établissements scolaires et universitaires, ainsi que dans les établissements d’accueil des enfants de moins de 6 ans.
Grâce à l’expertise de 5 autres équipes2, nous avons étudié une dizaine de plats en cellulose, deux types de plats en acier inoxydable (Inox) et un plat en verre. Tout d’abord, comme le veulent les normes actuelles, un des laboratoires a mis en contact les différentes barquettes avec deux « simulants » alimentaires, soit acide (pour mimer la sauce tomate), soit huileux (pour imiter un aliment gras), pendant 2 h à 120° C.
Ensuite, alors que cela n’est pas requis aujourd’hui lorsqu’on évalue la dangerosité d’un contenant, nous avons étudié l’impact des molécules migrant des contenants sur le bon fonctionnement des hormones de la reproduction, des hormones thyroïdiennes et du métabolisme.
Comment sont testés ces contenants pour savoir s’ils sont sans danger ?
Aujourd’hui, la limite de migration par jour du contenant au contenu est fixée à 60 milligrammes par kilogramme de denrée alimentaire, et ce, uniquement pour les objets en plastique en contact avec les denrées alimentaires des nourrissons et jeunes enfants. Cette mesure ne prend pas en compte l’activité biologique (c’est-à-dire les effets sur notre corps) que ces substances peuvent avoir.
Les produits déjà identifiés comme problématiques sont aussi recherchés. Par exemple, le bisphénol A est interdit en France dans les matériaux en contact avec les aliments depuis janvier 2015. Certains phtalates (plastifiants donnant la souplesse ou la couleur) sont eux aussi interdits.
Nous avons identifié deux problèmes majeurs à cette stratégie.
Premièrement, on ne recherche que ce que l’on connait. Cela pose un problème car on sait que plus de 14 000 substances chimiques peuvent être présentes dans les différents contenants alimentaires sur le marché. Pour autant, aucune information n’est disponible sur la migration et l’impact sanitaire de plus d’une dizaine d’entre elles.
Deuxièmement, aucun test utilisé dans la batterie de tests normatifs ne permet de tester l’activité biologique de ces substances.
Nous avons donc proposé d’aller plus loin en vérifiant l’absence d’activité hormonale des substances qui migrent des contenants alimentaires vers l’alimentation. Nous avons pour cela appliqué les mélanges de substances ayant migré des contenants alimentaires dans les simulants, sur des cellules humaines (hépatiques, et donc capables de révéler toute perturbation de métabolisme), mais aussi des embryons d’amphibien (Xenopus laevis) et des alevins de poissons (Oryzias latipes) qui produisent une protéine fluorescente lorsqu’une (ou des) substance(s) mime(nt) les hormones naturelles.
Il est important d’avoir en tête que tous les vertébrés partagent les mêmes hormones et que des perturbations sur une hormone chez le poisson ou l’amphibien peuvent alerter sur une perturbation chez d’autres espèces dont l’humain.
Quels ont été vos résultats ?
Nous avons montré que plus de la moitié des contenants en cellulose (avec liner plastique ou colle) contiennent des substances qui perturbent les voies hormonales soit de la reproduction, soit thyroïdienne. Il nous reste encore à identifier ces substances. Nous avons également montré qu’il est nécessaire de laver les contenants en inox avant leur première utilisation.
Il est à noter également que tous les contenants n’étaient pas équivalents et certains contenants faits en cellulose que nous avons pu tester étaient exempts de toute activité hormonale.
D’après vos recherches actuelles, quels matériaux seraient à recommander ou à bannir ?
Un des objectifs de notre projet était d’éviter de reproduire les erreurs commises avec le bisphénol A (BPA). En effet l’interdiction du BPA dans les contenants alimentaires en janvier 2015 a engendré une utilisation de bisphénols S et F qui apparaissaient alors comme sûrs, mais qui étaient surtout bien moins documentés. Depuis, il a été montré que ces substitutions étaient regrettables, d’une part par le fait d’avoir permis l’exposition de populations vulnérables à des substances préoccupantes, et d’autre part par le faux sentiment de sécurité généré par les logos « BPA free ».
Avant de commencer nos recherches, nous avions émis des doutes sur l’innocuité de certains contenants de nouvelle génération du type carton plastifié, qu’il s’agisse de ceux en cellulose avec liner en plastique ou en cellulose avec une colle permettant l’étanchéité. Nos premiers résultats nous donnent raison.
En revanche, les contenants en verre ou en inox (dès le deuxième lavage) n’induisent pas de perturbation hormonale et sont à privilégier. Pour la vie quotidienne, nous conseillons de ne pas réchauffer dans des contenants en plastique (ou en carton plastifié) et de transférer les aliments dans une assiette en verre ou céramique avant le réchauffage.
Les seuls tests réalisés actuellement ne permettent pas de garantir une innocuité des contenants alimentaires. Il est donc nécessaire de changer la méthodologie et d’introduire des tests basés sur une activité biologique.
Par ailleurs, tous les contenants jetables sont des échecs du point de vue écologique car ils sont tous voués à devenir des déchets. En effet, le recyclage est loin d’être une solution car seulement 7 % des déchets sont aujourd’hui réellement recyclés3. Les contenants jetables se retrouvent donc à terme dans la nature, ce qui fait que l’on a déjà pu retrouver des plastifiants ingérés par des mammifères en Arctique.
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Routti H, Harju M, Lühmann K, Aars J, Ask A, Goksøyr A, Kovacs KM, Lydersen C. Concentrations and endocrine disruptive potential of phthalates in marine mammals from the Norwegian Arctic. Environ Int. 2021 Jul;152:106458. doi: 10.1016/j.envint.2021.106458. Epub 2021 Mar 4. PMID: 33677245.
Comment la recherche permet à la loi d’évoluer ?
Tout d’abord, la recherche scientifique est nécessaire et permet de donner une référence et une crédibilité aux arguments avancés. Un autre élément non négligeable dans l’évolution des lois est la prise de conscience de la population.
C’est lorsque le grand public a relayé des inquiétudes que le BPA est devenu un enjeu de santé publique et a pu être réglementé. Pour les perfluorés (PFAS), nous assistons au même phénomène, des preuves scientifiques sur certains de ces perfluorés sont présentes depuis de nombreuses années, mais c’est la prise de conscience générale en 2023 qui fait avancer les choses sur la législation de ces molécules.
Pour les contenants alimentaires, certains groupes de travail se sont déjà formés. Des articles ont déjà questionné l’innocuité des contenants alimentaires en montrant que près de 3 000 substances présentes dans des contenants alimentaires ou des simulants sont également retrouvées dans le sang ou l’urine des humains4. Pour ce qui est de la nouvelle loi interdisant les contenants en plastique dès 2025, j’ai eu la chance de pouvoir participer au groupe de travail « plastiques » dirigé par le ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt depuis 2023. Ce groupe, constitué de professionnels de la restauration collective, d’associations, de scientifiques et autres, a rendu son avis le 27 septembre dernier sur les choix à privilégier en 2025. Il est clairement écrit que : « les matériaux conformes à la réglementation sont : l’inox, le verre, la porcelaine et la céramique. Pour le type cellulosique (…) il demeure une incertitude sur l’absence totale de plastique dans ce type de solution. Aussi il existe une présomption de non-conformité jusqu’à preuve du contraire. »
Je dirai donc que le meilleur scénario est celui où les résultats de travaux de recherche peuvent être directement utilisés pour aider dans les prises de décisions et dans la définition des lois.
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Geueke B, Parkinson LV, Groh KJ, Kassotis CD, Maffini MV, Martin OV, Zimmermann L, Scheringer M, Muncke J. Evidence for widespread human exposure to food contact chemicals. J Expo Sci Environ Epidemiol. 2024 Sep 17. doi: 10.1038/s41370-024-00718-2. Epub ahead of print. PMID: 39285208.
Des polluants persistants, les PFAS, pourraient augmenter le risque de développer la sclérose en plaques
Entretien avec
Jean-Baptiste Fini
Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle (Physiologie moléculaire et adaptation - UMR 7221), spécialiste des perturbateurs endocriniens