Crâne homo sapiens - abri Pataud
Recherche scientifique

Quand la mâchoire des Hommes nous raconte leur évolution…

Julie Arnaud, post-doctorante à Ferrara en Italie, est venue au Muséum national d’Histoire naturelle dans le cadre du programme Synthesys pour répertorier et réaliser les modèles 3D de mandibules de plusieurs spécimens du genre Homo. Le Muséum possède des collections importantes d’Hominidés et leur étude nous en apprend chaque jour un peu plus sur nos origines et notre histoire évolutive.

L’Afrique du Nord est une région-clé pour la compréhension d’une branche de l’arbre phylogénétique1 qui porte à l’apparition de notre espèce : Homo sapiens. Dans ce contexte, le Maroc et l’Algérie offrent une série de sites préhistoriques permettant de contextualiser l’arrivée des premiers habitants de cette région.

Les données actuelles sur les premiers peuplements Nord-Africains proviennent du site de Tighenif en Algérie où trois mandibules et un fragment crânien ont été découverts. L’étude de ces restes révèle la présence de traits archaïques (partagés avec des espèces plus anciennes telles qu’Homo erectus) et spécifiques retrouvés principalement chez les populations humaines modernes. Il est donc fondamental de prendre en compte toutes les données disponibles pour tenter de redessiner l’histoire évolutive de ces premiers habitants.

Les restes humains du site marocain Rabat-Kebibat, découverts au début du siècle dernier, sont datés entre 200-300 000 ans. Dans le cadre d’une collaboration entre l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP, Rabat) et le Muséum national d’Histoire naturelle, ces restes ont fait l’objet d’une nouvelle investigation plus approfondie par le biais d’une analyse microtomographique2. Parmi ces restes humains figure un fragment de mandibule bien conservé, permettant l’analyse morphologique osseuse et dentaire. La mandibule est une partie du squelette importante pour l’étude de l’évolution humaine car elle apporte d’une part des informations sur la variabilité morphologique des différentes espèces. D’autre part, elle renseigne sur les habitudes alimentaires, puisque sa morphologie est guidée, en partie, par les contraintes masticatoires.

Dans le but de préciser la position phylétique3 de la mandibule de Rabat-Kebibat dans le contexte évolutif nord-africain d’une part et Eurasiatique d’autre part, une collection de référence composée de spécimens appartenant à différentes espèces humaines (Homo sapiens, Homo neanderthalensis et Homo heidelbergensis) a été créée.

Au cours de son séjour auMuséum national d’Histoire naturelle dans le cadre du projet Synthesys, Julie Arnaud a répertorié plus d’une centaine de mandibules provenant de deux sitesibéro-mauriciens nord-africains (Taforalt, Maroc et Afalou, Algérie). Cette banque de données est composée pour chaque spécimen : d’un modèle tridimensionnel obtenu grâce à un scanner laser surfacique, de 20 mesures linéaires et de la description de 40 traits morphologiques.

Les modèles tridimensionnels permettent une analyse future basée sur les principes de morphométrie géométrique, c’est-à-dire la comparaison de plusieurs spécimens à partir de leur conformation. Dans le cas présent, cette technique est appliquée sur la morphologie de la partie antérieure de la mandibule - la région mentonnière - qui s’avère être diagnostique ou caractéristique de notre espèce Homo sapiens. En effet, l’étude de cette région a permis de déterminer que le menton n’est présent que chez les Hommes modernes Homo sapiens.

Grâce à l’acquisition de ces données, il sera donc possible dans un premier temps de comparer la mandibule du site de Rabat-Kebibat à un échantillon d’Hommes modernes nord-africains dans le but de déterminer s’il y a ou non une continuité évolutive régionale. Dans un deuxième temps, ces résultats permettront de mettre en relation les traits morphologiques des différentes populations préhistoriques nord-africaines avec d’autres groupes humains provenant d’Afrique mais aussi d’Europe.

En outre, la création de cette banque de données composées de modèles 3D permettra une analyse plus générale de la variabilité de la mandibule, en particulier chez les différentes populations d’Hommes modernes.

Julie Arnaud est post-doctorante à l’Université de Ferrara en Italie. Elle a fait ses études à Paris : Licence de Sciences de la Terre (Paris VI), Master Quaternaire et Préhistoire (Muséum national d’Histoire naturelle et Université de Ferrara - Italie) et son doctorat à l’Université de Ferrara en cotutelle avec le Muséum national d’Histoire naturelle. Au cours de ses années de thèse, elle s’est spécialisée dans l’étude de la variabilité mandibulaire chez les Néandertaliens. Pour son post-doctorat, elle travaille toujours sur la variabilité mandibulaire mais a élargi son champ d’investigation à d’autres espèces humaines et zones géographiques comme l’Afrique du Nord, objet de son projet principal.

Figure 1, modèle tridimensionnel

Figure 1, modèle tridimensionnel

© MNHN
homo sapiens

Homo sapiens

© MNHN
homo heidelbergensis

homo heidelbergensis

© MNHN

Notes

1. histoire de l’évolution des espèces.
2. technique non destructive qui permet l’obtention d’une image tridimensionnelle (3D) d’un objet.
3. à quelle espèce elle a pu appartenir.