La migration des plantes et leurs (ré)appropriations par les sociétés d'accueil

Saviez-vous qu’une grande partie des fruits et légumes cultivés en France sont d’origine étrangère ? C’est par exemple le cas de notre piment d’Espelette ou de la pomme de terre qui viennent d’Amérique. Eh oui ! Les plantes sont, comme nous, de grandes voyageuses. Elles s’enracinent, s’acclimatent et sont appropriées par leurs sociétés d’accueil. Celles-ci les intègrent alors dans les patrimoines culturels, culinaires, historiques et religieux.

Les plantes identitaires de la nation française

Emblèmes floraux - matricaire

Matricaire, emblème floral de la France suite à la Première Guerre Mondiale - Jardin des Altérités, 2022

© L. Fossard

Des emblèmes floraux

Vous connaissez sûrement le Bleuet, le Coquelicot, la Matricaire (grosse marguerite blanche). Mais saviez-vous que ces fleurs sont des emblèmes floraux du drapeau tricolore depuis la fin de la Première Guerre mondiale ? Comment des fleurs champêtres en viennent-elles à devenir l’emblème d’une nation ?

Autre curiosité :
Aviez-vous remarqué que le motif de la fleur de Lys, largement utilisé par la royauté française sur ses blasons, ressemble à s’y méprendre à … une fleur d’iris de couleur jaune ? Comment expliquer cela ?

Des messicoles tricolores

Le Bleuet-de-France est arboré par les personnalités publiques françaises lors des journées de commémoration des armistices du 8 mai et du 11 novembre. Son équivalent, sous la forme d’un coquelicot, est porté par les Britanniques. La vente de ces fleurs est ensuite reversée à l’Office des Anciens combattants et des victimes de guerre. Saviez-vous d’où vient cette tradition ?

LE SAVIEZ-VOUS ?

Le bleuet, le coquelicot ou encore la matricaire sont des plantes messicoles, c’est-à-dire qu’elles poussent spontanément au milieu des champs de céréales. Elles ont été introduites en Europe depuis l’Asie pendant le néolithique en même temps que le développement de la culture des céréales.

Après la Première Guerre mondiale, ce sont les premières fleurs à avoir repoussé spontanément sur les champs de bataille mutilés par les bombardements. Et par un beau « hasard », elles portaient les couleurs de la France. Depuis, elles sont considérées comme les emblèmes floraux du drapeau français.

Iris des Marais

Iris des Marais, symbole de la royauté sous le nom de fleuyr de Lys

© Kazakovmaksim - Adobe Stock

Usurpation d’identité par la fleur de la royauté

Quel symbole vous vient-il en tête lorsque vous évoquez la monarchie Française ? La fleur-de-lys, n’est-ce pas ? Or, à y regarder de plus près, cette fleur jaune à trois tépales a tout de l’Iris et rien du Lys !

En effet, il s’agit d’Iris-des-Marais, de couleur jaune, derrière lesquels le Roi de France Clovis, la veille d’une bataille, aurait caché son armée. Grâce à cette ruse, il remporta la bataille et décida de choisir cette fleur comme emblème. Les souverains capétiens qui lui ont succédé ont conservé ce motif sur leurs blasons. Au fil des années et des dynasties, le nom de l’iris a été délaissé au profit de celui de la « fleur-de-Louis », devenue finalement la « fleur-de-lys ».

Des plantes d'ici ou d'ailleurs ?

Pommes Normandes

Pommes Normandes - Jardin des Altérités, 2022

© L. Fossard

Aviez-vous déjà pensé que certains végétaux de nos régions et de notre patrimoine culinaire français venaient en fait d’ailleurs ? Les pommes normandes, le piment d’Espelette, les mirabelles de Lorraine … Et oui ! Ces plantes ne sont pas d’origine française ou européenne, mais elles se sont si bien insérées dans nos paysages et nos pratiques alimentaires, que nous avons oublié leurs lointaines origines étrangères !

LE SAVIEZ-VOUS ?

Les sociétés humaines attribuent un ici ou un ailleurs à leurs plantes en fonction de leur provenance géographique, mais pas seulement ! D’autres paramètres moins objectifs entrent en compte. Comme par exemple, le degré d’attachement à la plante, ou parfois même, le degré d’altérité qui nous sépare de la société d’origine de la plante.

Ainsi, les variétés de cultivars d’aubergines, de tomates ou de piments mis au point dans certains pays d’accueil, sont considérés comme locaux. Alors que d’autres variétés de la même famille de plantes, calibrées et moins goûteuses, peuvent être considérées comme étrangères.

Un miroir culturel

Les classifications d’origine des plantes nous en disent beaucoup sur les goûts des sociétés, leur manière d’apprécier les diverses formes et façons de cultiver, ou encore leur forme de se concevoir elles-mêmes en relation à l’autre et à l’étranger. Chaque société adopte un positionnement par rapport aux autres, en fonction de préférences culturelles. Les classifications locales des végétaux permettent de mettre en valeur ces perceptions.

Les plantes et les religions

Les religions utilisent de nombreuses plantes dans leurs rituels et leur attribuent des significations propres. Certaines sont sacrées et leurs usages sont interdits ou régulés. D’autres sont dédiées à la décoration en fonction des goûts des dieux.

Cédrat des Serres d’Auteuil

Cédrat des Serres d’Auteuil, Paris

© O. Belichenko

Des plantes sacrées

Certaines plantes sont identifiées comme symboles de religions spécifiques. C’est ainsi le cas de l’arbre du Henné associé à l’Islam, du Cédrat ethrog associé à la religion juive, du lotus dans le Bouddhisme, du Lys de la Madone dans la Chrétienté ou encore des œillets d’Inde utilisés en guirlandes dans les festivités Indoues. D’autres plantes, comme le buis, l’olivier ou encore le basilic, sont quant à elles présentes dans les rites de toutes les religions.

L’histoire des religions par les plantes

Certains végétaux portent des noms qui évoquent des religions : par exemple, Chardon-Marie, Herbe à Chapelet, fleur de la Passion pour la religion Chrétienne ; Larmes de Job, arbre de Judée pour la religion juive.

Ces appellations remémorent des épisodes de l’histoire des religions : un chardon sur lequel la Vierge Marie aurait allaité l’enfant Jésus ; un arbre sur lequel Judas se serait pendu, etc.

Ces dénominations communes sont attribuées aux végétaux selon des analogies avec la forme de leurs fruits ou de leurs fleurs, leur odeur, ou encore la disposition de leurs rameaux

Des plantes comestibles... dans quel lieu et selon qui ?

Chou Galicien

« Chou Galicien » au Portugal ou « Chou Cavalier » en France

© W. Eckert - pixabay

L’alimentation est un marqueur culturel important. Certains plats sont associés à une certaine culture, un certain pays : la ratatouille en France, les légumes-feuilles en Afrique de l’Ouest, etc. Or, aviez-vous remarqué que la plupart des ingrédients viennent d’ailleurs ? Ou encore, que certains légumes ou fruits sont consommés différemment selon les traditions culinaires de chaque pays ?

Dis-moi ce que tu manges, je te dirai d’où tu viens

Beaucoup de plantes sont comestibles, mais nous ne les considérons pas forcément comme telles. Parfois, ces différences de perception se donnent à voir dans des pays voisins. Prenons l’exemple de la France et du Portugal. Ainsi, saviez-vous que le « Chou cavalier », que nous donnons en pâture aux animaux en France, est appelé « chou galicien » par les Portugais qui l’utilisent dans leur cuisine ? Ce légume est l’ingrédient principal du caldo verde, une soupe typique du nord du Portugal.

Artichaut en fleur

Artichaut en fleur - Jardin des Altérités, 2022

© L. Fossard

Des feuilles à la racine en passant par les fleurs

Chaque société a ses habitudes de consommation propres. Eh oui ! Vous mangez peut-être le cœur et la fleur de l’artichaut, mais d’autres sociétés consomment plutôt les feuilles. Saviez-vous, par exemple, que les communautés chinoises consomment régulièrement des orties ou des pissenlits ? Vous les considérez peut-être comme des « mauvaises herbes » mais elles sont parfaitement comestibles. Elles étaient d’ailleurs largement mangées en France autrefois. Les habitudes de consommations évoluent et se différencient ainsi selon les époques et les lieux.

Dossier rédigé en octobre 2023. Remerciements aux co-concepteurs du Jardin des Altérités : Émilie Stoll, anthropologue (UMR 208 Patrimoines locaux, Environnement et Globalisation) et coordinatrice du projet EXORIGIN, Romain Simenel, anthropologue (UMR 208 Patrimoines locaux, Environnement et Globalisation) et à Liliana Motta, artiste-botaniste et directrice artistique du Jardin des Altérités, pour leur relecture et leur contribution.

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