Quelles seront les migrations humaines demain ?

Si l’histoire de l’humanité est irrémédiablement liée aux migrations, que pouvons-nous dire pour demain ? D’abord, que les phénomènes de migration se complexifient même s’ils ne sont le fait que d’une petite partie de la population mondiale. Les migrations permettent à certains continents comme l’Europe de voir leur population continuer à augmenter. Concernant le changement climatique, loin des invasions, les déplacements se feront surtout à l’échelle nationale ou régionale.

Les êtres humains ont toujours migré. C’est ainsi qu’ils ont peuplé la planète. Les humains actuels appartiennent tous à la même espèce apparue il y a entre 200 000 et 300 000 ans en Afrique. Le Proche-Orient, l’Asie, le reste de l’Afrique et l’Europe ont été peuplés progressivement par des immigrants descendant de cette première population. Il y a 65 000 ans, des immigrants venus d’Asie par voie de mer ont colonisé l’Australie ; 45 000 ans plus tard, d’autres immigrants ont rejoint l’Amérique par voie de terre à travers le détroit de Béring, à l’époque émergé.

Plus récemment, au cours des cinq derniers siècles, entre 1500 et 1950, près de 40 millions d’Européens ont quitté l’Europe pour s’installer en Amérique, en Afrique, en Asie et en Australie-Nouvelle-Zélande. Cette période a vu aussi de nombreux Africains capturés puis emmenés comme esclaves dans le cadre de deux commerces organisés, la traite atlantique et la traite arabe. Autour de 12 millions d’Africains auraient ainsi été embarqués de force sur des navires vers l’Amérique dans le cadre de la première, et 17 millions déportés dans le monde arabo-musulman de la Méditerranée et de l’océan Indien (Égypte, Libye, Soudan, Éthiopie) dans le cadre de la seconde.

Des flux migratoires renversés depuis un siècle

Migration d'une population

Migration d'une population sur la route des Balkans

© A. Kamber - stock.adobe.com

Les immigrés – personnes nées dans un pays autre que celui où elles habitent – seraient au total 258 millions en 2017 d’après les Nations unies. Ils ne représentent qu’une petite minorité de la population mondiale (3,4 %) alors que la plupart des humains vivent dans leur pays de naissance. La proportion d’immigrés n’a que très légèrement augmenté au cours des dernières décennies (2,9 % en 1990 et 2,3 % en 1965). Elle a sans doute également peu changé en cent ans. Si la proportion de personnes immigrées a peu évolué, leur répartition n’est en revanche pas la même qu’il y a un siècle. L’un des changements survenus depuis est, selon l’expression d’Alfred Sauvy, le "renversement des flux migratoires" entre le Nord et le Sud, les pays du Sud fournissant désormais une part importante des migrants internationaux.

Si l’Europe demeurait la principale région de départ des migrants jusque dans les années 1950 (vers l’Amérique du Nord et du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), les flux dominants sont en sens inverse aujourd’hui, du Sud vers le Nord. Ainsi, les Africains vont en Europe, les Mexicains et les Latino-Américains, en Amérique du Nord, et les habitants des pays pauvres d’Asie du Sud (Inde, Bangladesh, Philippines) se répartissent sur les deux continents. Une partie d’entre eux se déplacent aussi d’Est en Ouest pour aller dans les pays riches du golfe Persique (Arabie saoudite et Émirats). Les personnes immigrées se répartissent aujourd’hui en trois groupes d’importance numérique à peu près égale. Les plus nombreuses sont celles qui ont migré d’un pays du Sud vers un autre pays du Sud (97 millions en 2017 d’après les Nations unies). Suivent celles nées au Sud et vivant au Nord (89 millions), puis les migrants Nord-Nord (57 millions). Le quatrième groupe, celui des personnes nées au Nord et ayant migré au Sud, qui dominait encore il y a un siècle, est nettement moins important numériquement (14 millions).

Le nombre et la part des immigrés : très variable selon les pays

La proportion d’immigrés varie beaucoup d’un pays à l’autre selon son histoire migratoire et aussi sa taille. Elle est la plus élevée dans les pays peu peuplés mais richement dotés en ressources pétrolières, où les immigrés sont parfois majoritaires, comme aux Émirats arabes unis, au Koweït ou au Qatar. Elle est élevée, autour de 20 %, dans les pays neufs pourvus d’immenses espaces mais encore faiblement peuplés, comme le Canada et l’Australie. Elle se situe entre 4 % et 15 % dans les démocraties industrielles occidentales comme les États-Unis et les pays de l’Union européenne. Les conflits génèrent par ailleurs d’importants mouvements de réfugiés, qui gonflent la population immigrée des pays voisins.

Dans de plus en plus de pays développés, les décès sont plus nombreux que les naissances, c’est notamment le cas de la majorité des pays d’Europe. L’excédent des décès sur les naissances devrait se creuser dans les prochaines décennies, même dans le cas où les naissances se stabiliseraient. Le nombre de décès devrait en effet inévitablement augmenter même si l’espérance de vie continuait de progresser. Les générations nombreuses nées pendant le baby-boom, entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et les années 1970, vont en effet vieillir, puis mourir. En écho au baby-boom, on enregistrera un boom des décès 80 à 90 ans plus tard. Si la population de l’Union européenne continue à augmenter à la fin des années 2010, c’est presque exclusivement grâce aux migrations. L’excédent migratoire, différence entre les entrées et les sorties de migrants, s’est beaucoup accru au cours des années 1990 et 2000 et a atteint plus de 1,2 million par an entre 2005 et 2015.

Modélisation population européenne

Modélisation de la population de l'Union européenne avec et sans migrations

© MNHN - G. Pison, repris par l’AFDEC

Pour illustrer le rôle de l’immigration dans l’évolution démographique de l’Union européenne, Eurostat a calculé des projections en faisant l’hypothèse qu’à partir de 2015 le solde migratoire était nul. Ce scénario sans migration est irréaliste mais il a une portée pédagogique : il montre ce que serait l’évolution si l’immigration était stoppée en Europe à partir d’aujourd’hui. Dans ce cas, la population des vingt-huit pays européens aurait diminué dès 2015, cette diminution s’accélérant progressivement jusqu’à une population de 400 millions en 2080, contre plus de 500 millions aujourd’hui, soit une perte de 100 millions (20 %) en 65 ans, la ramenant à son niveau de 1960. La population de l’Europe ne pourra se maintenir à terme à son niveau actuel que grâce à une immigration importante, même dans le cas où la fécondité se relèverait.

Quel est l’effet potentiel du changement climatique sur les migrations ?

Alors que le changement climatique fait parfois craindre d’importants mouvements de population, les recherches actuelles font état d’effets très nuancés. Les études menées à l’échelle mondiale concluent que les transformations lentes du climat (sécheresse, montée des eaux) n’ont pas d’effet direct sur les migrations transcontinentales. Elles induiraient surtout des déplacements à l’échelle nationale ou régionale. Si le changement climatique affecte les migrations intercontinentales, c’est plutôt de façon indirecte, via les conflits et la poursuite de la croissance urbaine. En appauvrissant les populations rurales, le réchauffement pourrait même réduire leur capacité à émigrer au lieu de l’augmenter. Pour faire face à des événements extrêmes, les personnes qui les subissent peuvent se déplacer sans vraiment migrer. Inondations ou ouragans présentent des risques physiques immédiats pour les populations, ce qui les conduit à fuir les zones affectées mais de manière très provisoire.

En Afrique de l’Ouest, les épisodes de sécheresse ont favorisé les migrations entre zones rurales, mais ces déplacements ont été temporaires. Les migrations plus durables, de plus de deux ans, n’ont pas changé. Il est difficile de généraliser tant le contexte des sécheresses varie d’une région ou d’un pays à l’autre. On parle de plus en plus de migrations environnementales, ou de migrations climatiques, comme s’il était possible de distinguer dans les migrations internationales celles qui seraient liées à l’environnement ou au climat de celles qui n’auraient pas de lien avec eux et seraient liées à d’autres causes. En réalité, depuis les débuts de l’humanité, différents facteurs sont à l’œuvre dans la plupart des migrations humaines, l’environnement en faisant presque toujours partie, et toutes pourraient donc être qualifiées d’environnementales.

Pourquoi les migrants partent-ils ? Qui migre ? Qui ne migre pas ? Les mêmes facteurs sont à l’œuvre dans les grands flux migratoires d’aujourd’hui. La probabilité qu’une personne migre d’un pays ou d’une région du monde à une autre dépend ainsi de son niveau d’instruction et des ressources dont dispose sa famille. Les personnes totalement dépourvues d’instruction et de ressources migrent peu en comparaison des populations plus favorisées. Le flux migratoire entre deux pays, l’un de départ et l’autre de destination, est par ailleurs d’autant plus important que l’écart de revenu moyen est élevé entre les deux. Le fait de partager ou non une même langue, un passé colonial, une diaspora déjà installée joue également un rôle.

L’Europe et les migrations subsahariennes

Mouvements des migrations internationales en 2017

Grands mouvements des migrations internationales en 2017

© MNHN - G. Pison, repris par l’AFDEC

L’Afrique subsaharienne devrait représenter 22 % de la population mondiale vers 2050 au lieu de 14 % aujourd’hui. Le nombre de migrants originaires de cette région devrait donc augmenter. Mais de combien et vers quelles destinations ? En replaçant les migrations africaines dans le tableau mondial des flux migratoires, il apparaît que le scénario pour 2050 d’une Europe peuplée à 25 % d’immigrés subsahariens, comme certains l’ont annoncé, ne tient pas la route. L’ordre de grandeur le plus réaliste est cinq fois moindre. L’Afrique subsaharienne connaît en effet le taux d’émigration internationale le plus faible du monde. Si elle émigre peu, c’est en raison même de sa pauvreté. Et, lorsqu'elle émigre, c’est à̀ 70 % dans un autre pays subsaharien et à 15  % seulement en Europe, le reste se répartissant entre les pays du Golfe et l’Amérique du Nord. De façon générale, plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont de chances de migrer au loin. S’ils émigrent, c’est d’abord dans les pays limitrophes, généralement aussi pauvres qu’eux. La migration d’Afrique subsaharienne vers l’Europe ne fait donc pas exception aux courants migratoires d’aujourd’hui et les flux dans son cas sont sensibles aux mêmes facteurs que ceux à l’œuvre dans d’autres régions du monde, par exemple en Amérique, entre les pays d’Amérique latine, en particulier le Mexique, et les États-Unis. La migration sub-saharienne n’a rien de spécifique. Projeter les migrations internationales reste cependant un exercice incertain car les mouvements peuvent changer rapidement ; il reste que les scénarios reposant sur les facteurs connus de la migration montrent que, même en hausse très importante, la part des immigrés du Sud dans la population des pays du Nord devrait rester modeste.

Gilles Pison, Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle (UMR 7206, Biodémographie humaine). Extrait de l'ouvrage La Terre, le vivant, les humains (Coédition MNHN / La Découverte), 2022. 

La Terre, le vivant, les humains

  • Coédition Muséum national d'Histoire naturelle / La Découverte
  • 2022
  • Sous la direction de Jean-Denis Vigne et Bruno David
  • 196 × 249 mm
  • 420 pages
  • 45 €
Exposition Migrations : une odyssée humaine
Exposition

Migrations : une odyssée humaine

Loin d’être un phénomène nouveau, les migrations font partie de notre passé, notre présent et notre avenir. Un vaste sujet à explorer dans cette exposition au Musée de l'Homme jusqu'au 8 juin 2025.

Auteur

Gilles Pison

Gilles Pison

Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle (Biodémographie humaine - UMR 7206)

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