Germaine Tillion (1907-2008)

Entrée au Panthéon le 27 mai 2015, Germaine Tillion est ethnologue du Musée de l’Homme et pionnière de la Résistance.

L’ethnologue, des études au Musée de l’Homme

Le parcours de Germaine Tillion démontre une très grande curiosité… Elle étudie l’archéologie, la préhistoire et l’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, elle poursuit des études de celte, s’initie à l’épigraphie sémitique à la Sorbonne et à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, elle suit les cours de Marcel Mauss au Collège de France et à l’Institut d’Ethnologie. Elle fait aussi des études de psychologie. Dans les années 1927 à 1934, elle participe à l’effervescence des étudiants classant et rangeant les collections ethnographiques dans l’ancien et vétuste Musée d’Ethnographie du Trocadéro, ancêtre du musée de l’Homme.

En 1934, il lui est proposé une mission dans l’Aurès, pour étudier l’ethnie berbère des Chaouias. La première mission a lieu en 1935-1936. Elle est accompagnée de Thérèse Rivière, soeur de Georges-Henri Rivière, alors sous-directeur du Musée de l’Homme. Thérèse étant tombée malade, Germaine Tillion poursuit seule ses recherches.

La Résistance

L’ethnologue rentre en France en mai 1940 après sa seconde mission dans l’Aurès. Ignorant à peu près tout de la situation en métropole, elle arrive à Paris au lendemain d’une capitulation qui la révolte. Patriote et républicaine, elle se rapproche du Colonel Paul Hauet, qui dirige une association d’aide aux soldats coloniaux, l’UNCC (Union nationale des combattants coloniaux), dont il se sert pour abriter une filière d’évasion destinée aux prisonniers de guerre. Son activité s’élargit ensuite à la collecte d’informations sur l’armée allemande, sur les mouvements des troupes et sur les camps de prisonniers. Par l’intermédiaire de Germaine Tillion, Paul Hauet entre en contact avec le groupe de résistants de Boris Vildé.

Après l’arrestation des principaux résistants du réseau du Musée de l’Homme, début 1941, l’organisation dérivée de l’UNCC reprend les activités du réseau jusqu’au 5 juillet 1941, date à laquelle Paul Hauet est arrêté. Germaine Tillion prend alors le relais.

Trahie par l’abbé Robert Alesch, elle est arrêtée à son tour le 13 août 1942 et mise à l’isolement à la prison de la Santé, puis transférée à celle de Fresnes deux mois plus tard. Lors de son incarcération, la résistante parvient à prendre des notes et ne cesse d’imaginer des moyens d’entrer en communication avec ses camarades.

« Pour moi, la résistance consiste à dire non. Mais dire non, c’est une affirmation. C’est très positif, c’est dire non à l’assassinat, au crime. Il n’y a rien de plus créateur que de dire non à l’assassinat, à la cruauté, à la peine de mort. »

Entretien conduit à l’automne 2002 par Alison Rice et publié intégralement en anglais dans "Research in African Literatures", 35 (2004), 1, p.162-179. In Tzvetan Todorov, Le siècle de Germaine Tillion, 2008, p.350.

La déportation

Le 23 octobre 1943, Germaine Tillion est déportée NN (Nacht und Nebel, Nuit et brouillard : personnes accusées de sabotage et de résistance représentant un danger pour l’armée allemande, condamnées à disparaître sans laisser de traces) à Ravensbrück et passe un an et demi en captivité.

Insensible à la peur, l’ethnologue multiplie les actes de résistance dans le camp : mots passés secrètement par ses codétenues ou photographies des femmes victimes d’expériences pseudo médicales qu’elle réussit à sortir du camp.

Elle y compose même une opérette, qui décrit la condition de Verfügbar, détenue « disponible » et « corvéable à merci ». Dans Le Verfügbar aux enfers, Germaine Tillion fait preuve d’un humour surprenant : « On m'a dit « il faut résister »... / J’ai dit oui presque sans y penser / C’est comme ça qu’dans un train de la ligne du Nord / J’eus ma place retenue à l’oeil et sans effort... ». Cette opérette inachevée, dont l’énergie et l’humour s’étiolent en même temps qu’augmente le nombre de jours passés dans le camp restera cachée plus de quarante ans. Germaine Tillion donne finalement son accord pour qu’elle soit mise en scène en 2007, au Théâtre du Châtelet.

L’ethnologue de l’Aurès mobilise également l’expérience acquise en Algérie pour mieux analyser la structure du camp, avec la volonté insatiable de comprendre la logique de son fonctionnement, de déchiffrer ce terrible univers pour survivre. La résistance dans le camp devient celle de l’esprit, une lutte pour ne pas succomber à la folie ou au désespoir.

Tout en se soustrayant le plus possible au travail, Germaine Tillion n’échappe ni au quotidien du camp, la faim, la maladie, l’épuisement, l’absence d’hygiène, ni au désespoir en apprenant la mort de sa mère Emilie, elle aussi déportée à Ravensbrück et gazée en mars 1945.

L’après-guerre

Libérée par la Croix - Rouge suédoise en mai 1945, Germaine Tillion a consacré une partie de sa vie à l’étude du système concentrationnaire nazi, étude entamée clandestinement dans l’enceinte même du camp, poursuivie en Suède auprès de ses camarades de Déportation, et menée jusqu’à son retour en Algérie. Convoi par convoi, elle entreprend de reconstituer l’itinéraire des femmes déportées à Ravensbrück, les conditions de leur arrestation, leur passage d’un camp à l’autre, les circonstances de leur mort ou leur devenir après la Libération. Ce long travail minutieux est motivé par le souci de témoigner et de garder une trace de ces destins brisés, avant qu’ils ne sombrent dans l’oubli.

Dès 1945, Germaine Tillion prend en charge les démarches administratives relatives au réseau du Musée de l’Homme avec pour objectif l’attribution de décorations et de pensions militaires au titre de combattant volontaire de la Résistance. Elle enregistre le réseau au nom de « Réseau du Musée de l’Homme – Hauet – Vildé » en 1946 en hommage aux martyrs du Musée de l’Homme.

Ce jour-là, dans les locaux de la France combattante, entre deux portes, on me pria de donner un nom à notre organisation et c’est alors que, sur les fonts baptismaux, je l’ai appelée réseau musée de l’homme. Pourquoi ce nom ? Parce que lorsque nous parlions de nos premiers morts, nous disions « ceux du musée »...

« Le réseau Musée de l’Homme », in A la recherche du vrai et du juste. A propos rompus avec le siècle, textes réunis et présentés par Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 2001, p.145.

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